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Entretien avec Benoît Colardelle,
Scénographe de la lumière

par Alexandre Pham
jeudi 16 août 2007


L’homme-Lumière
Pour réussir un concert, il faut autant bien jouer ou chanter qu’être vu sur la scène, sous la rampe des projecteurs.
Scénographe de la lumière, complice de longue date du Festival Musique et Mémoire,
Benoît Colardelle veille à la bonne lumière. En mesurant les lux corrects, en choisissant les couleurs adéquates, selon chaque concert, il permet aux musiciens de bien lire leur partition, au public de voir et de se délecter du cadre comme des artistes en situation. Difficile gageure qui révèle l’expertise d’un «homme-lumière» et dont la prochaine réalisation est attendue le 30 novembre 2007 au Grand Théâtre. de Châtellerault, dans un spectacle conçu avec l’ensemble Les Witches, dans le sillon de La Ronde de nuit de Rembrandt... Entretien.

A quelles contraintes techniques, un scénographe de la lumière comme vous, doit-il se soumettre en dehors des objectifs esthétiques?

Le travail de la lumière est constamment soumis à des contraintes diverses, d’ordre technique principalement : la puissance lumineuse nécessaire, la puissance électrique disponible, le type de matériel, le temps imparti, le confort de vue des musiciens, la fragilité de l’accord des instruments anciens.
Ces contraintes sont évidemment liées aux objectifs artistiques et aux conditions techniques que les lieux d’accueil peuvent remplir. Cela est particulièrement vrai des concerts qui sont programmés dans des espaces divers, pas toujours aptes à accueillir une scénographie en lumière.
Pour les premiers points, je m’efforce de trouver des solutions originales, liés à la recherche de nouvelles sources lumineuses, efficaces, légères et économes en énergie, comme la technologie des Leds qui va, de ce point de vue, apporter des réponses très intéressantes.
Par ailleurs et en attendant, je m’astreins à élaborer pour chaque concert particulier un «système», une création d’éclairage spécifique et adaptable de manière cohérente à différents espaces, sur le principe d’un éclairage «vectoriel» : ainsi l’installation lumineuse peut être agrandie ou réduite sans perdre son identité propre.

La question du confort des musiciens et de l ‘intégrité de leurs instruments exige une grande attention et conditionne bien souvent une part importante de l’éclairage. Techniquement parlant, c’est souvent le plus complexe, en particulier lorsque la structure n’est pas adaptée.
Je constate que la meilleure réponse réside dans un matériel spécifique et une invention constante. Le festival Musique et Mémoire, en Haute Saône et «Musiques en Lieux», dans la Meuse, sont actuellement mes principaux partenaires sur la réalisation de ce type d’équipements. Enfin, pour les installations très éphémères, comme les «lumières d’un soir» à l’occasion d’un concert, les contraintes et les lieux s’imposent, fort heureusement, comme autant de sources d’inspiration.

Sur le plan esthétique, quels sont vos objectifs lors d’un spectacle de musique?

Les spectacles musicaux ont l’avantage de laisser une grande liberté de création. A l’occasion de commandes, où j’ai un rapport de grande proximité avec les ensembles, la lumière peut alors être envisagée comme une construction mouvante, émouvante et génératrice de sensations. La lumière fixe un cadre visuel et crée un décor, elle nourrit l’imaginaire et peut jouer en contrepoint de la proposition musicale; la scénographie renforce alors la sensation de «voyage extraordinaire».
Une part importante de mes recherches sur le traitement de la lumière porte sur la couleur. Le maniement harmonieux de teintes et de couleurs franches est complexe, mais riche d’une immense gamme de sensations. Quand nous jouons dans un espace construit, église ou espace naturel, je travaille sur la matière, les lignes qui, de par le mouvement des lumières, se transforment et offrent à l’oeil un paysage nouveau.
La lumière opère dans un cadre abstrait, qui joue sur la dramaturgie du spectacle. En même temps, ce jeu d’espace, d’ombre et de couleur a un impact très direct sur le spectateur, il est générateur de sensations physiques. Mon objectif est de jouer cette partition, différente et en même temps cohérente, par rapport au jeu musical.

Vous participez étroitement au Festival Musique et Mémoire créé par Fabrice Creux. Au cours des éditions du Festival, quelles ont été les découvertes les plus marquantes dans votre travail auprès des artistes? Y a t-il des éléments qui se sont imposés à vous, dont vous n’aviez pas l’intuition au départ?

Mon travail auprès de Musique et mémoire s’est construit au fil des ans même si, dès ma première participation au festival, en 1997, collaboration avec mes amis Odile Edouard et Alain Gervrault, l’ensemble des éléments étaient déjà présents : la scénographie d’un espace patrimonial, la mise en valeur de la musique et des instrumentistes.
Après avoir éclairé environ cinquante concerts dans le cadre du festival, je suis marqué par le très grand plaisir de collaborer avec Fabrice Creux et l’équipe du festival —nous sommes devenus très proches—, ainsi que par la découverte d’un répertoire riche et de grande qualité qui m’était en grande partie inconnu. Du fait de son espace extraordinaire, la Chapelle de Ronchamp de Le Corbusier est sans doute le lieu qui m’a le plus passionné.
C’est probablement en ces occasions, entre autres dans mon travail avec le compositeur Giuseppe Baboni, que nous avons poussé le plus loin notre collaboration. Un élément me touche en particulier : le plaisir de la redécouverte des églises par le public local, spécialement sensible à la lumière.

Pour la Ronde de Nuit, quel a été votre travail? Vos sources d’inspiration? Quel en sera le résultat?

Le travail d’éclairage sur «la Ronde de Nuit» mené avec les Witches, inspiré par la peinture Flamande, est un jeu sur les couleurs. Chacun des sept musiciens sera éclairé par quatre teintes,
selon quatre angles qui se mêlent et se transforment en un lent mouvement. Les couleurs franches seront ici exclues, au profit d’une plus grande subtilité entre les teintes froides et chaudes.
La construction lumineuse se fera suivant ce que m’évoque la musique, en agrandissant et diminuant l’espace, privilégiant un instrumentiste ou un autre, jouant d’une lumière contrastée ou plus douce.
Bien que la peinture soit une source constante d’inspiration, il est un fait que la lumière de spectacle ne peut guère espérer la reproduire, je ne pense d’ailleurs pas que cela soit souhaitable. Les oeuvres des peintres Flamands, me nourrissent de sensations : entre autres, la précision du récit, la grande humanité et le cadre enveloppant de chaque scène. Je n’ai pas la prétention d’en approcher l’aboutissement, mais plutôt d’offrir un cadre sensible et présent, propice à la liberté imaginative du spectateur. J’ai la chance de travailler depuis une douzaine d’année avec les Witches, nous nous connaissons bien et je sais leur plaisir à se couler dans la lumière et à se laisser porter par elle.
Propos recueillis par Alexandre Pham